
Le laboratoire « Boiron » est le numéro un mondial de la fabrication des médicaments homéopathiques
Après neuf mois d’enquête, la Haute Autorité de Santé s’est positionnée en faveur du déremboursement de l’homéopathie, arguant que son efficacité n’est pas prouvée. Comme prévu, la ministre des Solidarités et de la Santé Agnès Buzyn a indiqué suivre cet avis. Remboursés actuellement par la sécurité sociale à hauteur de 30 %, 1 163 médicaments homéopathiques ne le seront plus qu’à 15 % au 1er janvier 2020 puis plus du tout 366 jours plus tard.
« Absence d’études robustes »
Cette décision n’est que le prolongement de 35 ans de discussion autour de cette médecine alternative. En 1984, la ministre des Affaires sociales Georgina Dufoix avait décidé de placer l’homéopathie sur la liste des médicaments pouvant bénéficier d’un remboursement à 65 %, sans être passé par la case évaluation scientifique, au contraire de l’ensemble des médicaments remboursés. Diminué à 35 % en 2003 et 30 % en 2011, le remboursement des médicaments homéopathiques passera à 15 % en 2020 et sera terminé en 2021.
Dans son rapport d’évaluation du « bien-fondé du remboursement des médicaments homéopathiques remboursables », la Haute Autorité de Santé a estimé que « ces médicaments n’ont pas démontré scientifiquement une efficacité suffisante pour justifier d’un remboursement ». Elle argumente sa décision en avançant que l’homéopathie serait notamment utilisée « pour traiter des pathologies sans gravité ou qui guérissent spontanément » et en s’appuyant sur l’ »absence d’étude robuste permettant d’évaluer l’impact des médicaments homéopathiques sur la qualité de vie des patients ».
Lire aussi : Homéopathie : la Haute autorité de santé préconise le déremboursement
Contacté, le président du conseil départemental de l’ordre des médecins de l’Eure Ronan Collin informe « ne pas donner de position dans ce domaine-là ». Il rappelle cependant que « pour être remboursé, un médicament doit avoir fait preuve de son efficacité dans des essais cliniques ». Ce n’était pas le cas jusque-là de l’homéopathie.
« Cette décision est hypocrite »
Cette décision est mal vécue par les adeptes de cette médecine. Habitante de Verneuil-d’Avre-et-d’Iton (Eure), Isabelle utilise de l’homéopathie pour son fils, reconnu TDAH (Trouble du Déficit de l’Attention avec Hyperactivité). « Il y a moins d’effets indésirables et pas besoin de sevrage » affirme-t-elle.
Cette décision est hypocrite. Cela ne m’empêchera pas de continuer à utiliser de l’homéopathie. Cela fera simplement baisser un peu plus mon pouvoir d’achat.
Lire aussi : Homéopathie. Le médecin de l’Orne qui avait repris du service interpelle le Gouvernement
Elle bénéficie de prescriptions de son médecin généraliste. Aucun médecin homéopathe n’est en effet installé dans le Sud de l’Eure. Les répercussions de cette mesure seront donc moindre pour ces praticiens selon Ronan Collin.
Les médecins avec une activité homéopathique exclusive seront les seuls réellement impactés. Pour les médecins généralistes ayant acquis les diplômes d’homéopathie, ce sera du au cas par cas, le médecin sera dépendant du patient. Le patient n’ayant pas les moyens de s’acheter son médicament homéopathique bénéficiera d’une prestation en allopathie.
« Un mauvais message envoyé aux pharmaciens »
Pharmacien au 31, rue Aristide Briand à Breteuil (Eure), Damien Jacquot s’oppose au déremboursement de l’homéopathie et nous explique pourquoi.
Le Réveil Normand : Comment accueillez-vous cette nouvelle ?
Damien Jacquot : Le gouvernement fait une erreur. Cette rémunération étant assez importante pour certaines pharmacies, vitales pour certaines d’entre-elles, c’est un mauvais message envoyé aux pharmaciens et à tout le secteur. Lorsque nous allions négocier les conventions ces dernières années, il était prévu que l’on puisse bien gagner notre vie sur la vente d’homéopathie. Et quelques années après, on nous coupe l’herbe sous le pied. Ce qui m’inquiète, c’est l’alternative que les généralistes vont devoir trouver. Lorsque j’ai vu Boiron récemment, je leur ai dit que pour faire réviser leur copie à la Haute Autorité de Santé et aux décideurs, il faudrait mener des enquêtes statistiques pour savoir ce que les médecins généralistes vont prescrire aux personnes qui se soignaient à l’homéopathie. Ne vont-ils rien donner ? Vont-ils maintenir leurs prescriptions ? Ou vont-ils prescrire de l’allopathie ?
Ronan Collin évoque une solution au cas par cas, le médecin s’adaptant au budget du patient. Corroborez-vous ces propos ?
Exactement, je pense que c’est ce qu’il va se passer. J’avais des prescriptions pour des souches homéopathiques avec des vertus sédatives à l’instar de la passiflore. Le jour où on ne donne plus ce genre de produit, va-t-on donner un anxiolytique qui a des effets indésirables importants, peut générer des problèmes d’addiction et provoquer des diminutions de vigilance sur la route ? En faisant du cas par cas, on peut avoir des répercussions très importantes et des conséquences individuelles. Je m’en inquiète.
Lire aussi : L’homéopathie, miracle ou pipeau ?
Quelle part représente la vente d’homéopathie dans votre chiffre d’affaires ?
On doit être en dessous de 1 %. Ça n’aura pas d’impact significatif économiquement parlant pour mon officine. Il n’y a pas de médecin homéopathe dans le sud de l’Eure et ceux qui en prescrivent le font à tiers-temps. La mesure devrait permettre d’économiser 130 millions d’euros à l’année d’après le ministère, 80 selon « Boiron ». Je pense que « Boiron » a raison. Le ministère a oublié de dire qu’il y avait une franchise de 50 centimes par tube d’homéopathie. C’est une goutte d’eau dans l’océan des dépenses nécessaires à la santé.
10 % des Français se soignent avec de l’homéopathie. Qu’en est-il dans le Sud de l’Eure ?
Dans le Sud de l’Eure, je pense que l’on a pas mal de personnes qui en prennent. Des personnes viennent spontanément à la pharmacie. Toutes les mamans connaissent le tube d’arnica pour les bébés. La passiflore est également assez connue pour élaborer des recettes. Nous en donnons également beaucoup avec les moustiques. Je pense que cela représente une bonne part de la population. Il ne faut pas seulement voir les prescriptions. Au moins la moitié de la population est venue me demander au moins un jour un médicament homéopathique.
L’homéopathie devrait survivre à son déremboursement. Dans les colonnes du « Parisien », Agnès Buzyn elle-même ne souhaitait d’ailleurs pas la fin de cette pratique. « La question qui se pose aujourd’hui est celle du remboursement. Ni l’homéopathie, ni son enseignement n’ont vocation à être interdits » a-t-elle déclaré dans l’édition du 10 juillet.