
Laëtitia Tiranzoni et Gérard Bruneau au milieu des incroyables comestibles.
Un peu partout dans la ville et dans les quartiers, ils grandissent et proposent leurs saveurs sucrées, acidulées, aromatisées à qui veut bien les cueillir.
Des courgettes le long de l’Iton, des tomates, des pâtissons et des cornichons derrière le Comptoir des Loisirs, des herbes aromatiques et des arbustes fruitiers dans les quartiers de Nétreville ou de la Madeleine. Eux, ce sont les « incroyables comestibles ».
Ce mouvement, né dans le nord-ouest de la Grande-Bretagne en 2008, a pour principe de faire pousser de la nourriture dans la ville dans une démarche d’autonomie alimentaire locale.
En 2013, Laëtitia Tiranzoni prend connaissance sur les réseaux sociaux du concept importé en France par François Rouillet, et décide de l’appliquer à Évreux :
J’ai vécu un moment difficile en voyant les images et les messages de désolation sur l’état de la planète et les enjeux de l’écologie dans les années à venir. Cela m’a décidé à changer ma façon de me nourrir et de faire quelque chose pour les autres ».
Elle fait alors part de son projet dans les réunions de quartier et adhère au mouvement citoyen de Thierry Desfresnes, à l’époque adjoint au maire communiste de l’ère Champredon.
« Je ne voulais pas faire de politique mais ça me permettait de faire avancer les choses », précise Laëtitia Tiranzoni. L’architecte Serge Gestin met ensuite à la disposition de l’association un local pour entreposer le matériel.
Des arbustes fruitiers au pied des immeubles
En parallèle, Laëtitia Tiranzoni crée l’association Partage Heure, aujourd’hui présidée par Claude Ordioni, et commence à installer des bacs dans le quartier de la Madeleine, au pied des immeubles. « On a commencé par planter des herbes aromatiques pour sensibiliser les habitants et leur montrer l’intérêt du concept », explique Laëtitia Tiranzoni.

Des plants de courgettes au bord de l’Iton (©V.D.)
Les débuts ont été difficiles, certains trouvant l’idée inutile ou ne souhaitant pas s’impliquer. « Ce sont surtout les mères de famille et les enfants qui ont rapidement adhéré et qui ont pris goût au jeu ».
Avides de connaissances et d’informations, ils apprennent ainsi à connaître les différentes variétés de légumes et de fruits comme les cassis, les groseilles, les framboises et à les cultiver pour mieux se connecter à la nature et manger autrement.
Cultiver des herbes aromatiques et des petits fruits rouges leur permet par la suite de s’intéresser à d’autres types de cultures qui demandent davantage de place telles que des arbres fruitiers (pommier, poirier, prunier…) ».
Un verger citoyen
C’est là qu’intervient la forêt nourricière, implantée sur les hauteurs de Nétreville par le CTCE-Alternatiba (collectif pour une transition citoyenne dans l’Eure) depuis novembre 2017 suite à une convention signée avec la mairie d’Évreux pour une période de trois ans reconductible.
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C’est Robin Branchu, militant anti-consommation, qui est à l’origine de cette forêt nourricière après avoir lu le livre de Rob Hopkins, Manuel de transition : de la dépendance au pétrole à la résilience locale, qui présente les étapes d’une transition vers une société écologique gérant ses ressources de façon responsable.
« Nous avons commencé par installer des framboisiers remontants puis des bénévoles nous ont fourni des plantations au fur et à mesure », évoque Gérard Bruneau, l’un des deux organisateurs du projet au CTCE-Alternatiba avec Claude Ordioni.

La forêt nourricière sur les hauteurs d’Evreux (©V.D.)
Aujourd’hui, sur près de 8 300 m², une cinquantaine d’arbres fruitiers, distante chacun d’une dizaine de mètres et protégé des lapins et des chevreuils par un grillage, ont pris leurs marques : pommiers, noyers, châtaigniers, cerisiers, pruniers et même deux abricotiers pourtant pas habitués aux rigueurs de l’hiver normand.
Une vingtaine de bénévoles entretient régulièrement et développe ce verger. En parallèle, des partenariats se créent avec d’autres associations comme l’AL2E ou l’association des jardiniers-vignerons des Portes Normandes, déjà à l’initiative des vignes des coteaux de Saint-Michel, et qui a planté une trentaine de vignes dans la forêt nourricière.
Des moments de cohésion et de partage
Nourrir la ville pour en faire, à terme, une commune auto-suffisante n’est pas le seul objectif de cette ville comestible.
On vit dans une période difficile où chacun reste chez soi. Outre le fait de cultiver des légumes pour la communauté, l’idée est de faire de la cohésion sociale et de redonner goût à la vie, de se sentir utile au travers d’une activité, surtout lorsque l’on vit dans des quartiers difficiles ».
Il ne suffit pas de planter, encore faut-il entretenir les plantations et les arroser, surtout en cette période de canicule. Au début de la mise en place des bacs, ce sont les adhérents de l’association qui s’en occupent, ce qui permet aux habitants de prendre le temps de s’y intéresser et de se former aux techniques de base.
Valérie Dobigny