
Mathias Chivot, historien de l’art et commissaire scientifique
Vous êtes commissaire de l’exposition sur Edouard Vuillard et Ker-Xavier Roussel qui a lieu à Vernon et celle sur Ker-Xavier Roussel qui démarre ce week-end à Giverny. Comment avez-vous sélectionné les œuvres ?
Mathias Chivot : Au musée de Vernon, on a fait le choix de mettre en regard le travail de Roussel et de Vuillard. Les deux hommes étaient de la même famille, c’est une exposition tournée sur l’intime. Vuillard était un portraitiste, Roussel en a peint peu. Dans les années 30, les deux hommes étaient toujours présentés ensemble, avec Bonnard également. À cette époque, il y avait une entraide des artistes entre eux. Puis est arrivé le temps des monographies où les peintres étaient présentés seuls. À Vernon, c’est une exposition intimiste alors qu’à Giverny, on est sur des grands formats, des paysages, c’est la plus grande partie de sa production. La seule personne intime que l’on verra à Giverny est la femme de Ker-Xavier Roussel.
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Ker-Xavier Roussel est méconnu du grand public, pourquoi avez-vous choisi une exposition monographique ?
C’est un parti pris, justement parce qu’il est peu connu. Le public découvrira sa période nabie puis ses grands formats et ses sujets autour de la mythologie. Une section sera également consacrée à ses lithographies. C’est une forme classique, une exposition simple à comprendre.
« Faire appel à différentes sensations »
De plus en plus de musées optent pour des regards croisés, des expositions qui mettent en parallèle la musique et la peinture par exemple.
Les musées proposent en effet des expositions où les arts se mêlent. C’est intéressant de faire appel à différentes sensations. C’est la synesthésie comme disait Beaudelaire. Avec Ker-Xavier Roussel, on pourrait faire une exposition autour de l’anarchie en le croisant avec Signac et Cross. L’idée serait de replacer l’artiste dans son contexte. Ou mettre en regard ses eaux-fortes avec la poésie de Maurice de Guérin et la musique de Debussy. C’est une lecture plus complexe.
Vous êtes l’auteur du catalogue raisonné sur Edouard Vuillard et celui sur Ker-Xavier Roussel, qu’est-ce qui vous a poussé à choisir ces peintres ?
J’ai commencé par celui sur Vuillard et c’est Vuillard qui m’a amené à Roussel. D’abord, il faut aimer l’artiste. Vuillard a une histoire à tiroirs, c’est fascinant. Ses tableaux, sa correspondance, ses écrits… Il a fallu tout décortiquer, je me suis senti en osmose avec lui. Le catalogage est un travail de bénédictin qui m’a même conduit au Japon dans un petit musée sur une montagne pour découvrir un tableau nabi. Aujourd’hui, c’est un peu plus simple avec internet pour trouver des collectionneurs.
Vous évoquez le mouvement nabi, quelles sont ses caractéristiques ?
Il s’oppose à l’académisme. Les peintres nabis veulent simplifier les choses, gommer les perspectives, en donner une représentation en étages. Ils rendent les choses plus visuelles et plus mentales. Le mouvement nabi tend vers l’abstraction.
« Roussel était un anti-moderne »
Comment expliquez-vous le motif mythologique qui revient dans les toiles de Ker-Xavier Roussel ?
Roussel avait une grande culture, il lisait le latin, le grec et accordait une grande importance à la mythologie, à la recherche de l’harmonie. Roussel refusait la notion de progrès, soutenait les laissés pour compte de la Révolution industrielle. Il était un anti-moderne. Les sujets mythologiques évoquent un monde onirique où l’homme est libre. Il a une vision nietzschéenne, utopiste du « tous à poil ! ». Mais le travail de Roussel est très contrasté. On a ses grandes toiles lumineuses avec des nymphes au milieu de bois sacrés et des lithographies crépusculaires qui évoquent des paysages d’apocalypse. Ses eaux-fortes montrent la tourmente et le romantisme noir de Roussel.
Après Vernon et Giverny, est-ce que ces deux expositions voyageront ?
Non ce n’est pas prévu pour celle de Vernon. Mais celle de Giverny, on envisage de la remonter.
Ker-Xavier Roussel, jardin privé, jardin rêvé, à voir au musée des Impressionnismes de Giverny du 27 juillet au 11 novembre.
Edouard Vuillard et Ker-Xavier Roussel, portrait de famille, à voir au musée de Vernon jusqu’au 3 novembre.